Ne ciblez plus votre programme de rétention sur les clients à fort risque de départ, mais sur les clients sensibles à votre programme de rétention !
Tout au long de cet été nous vous proposons de découvrir en avant-première un article issu du prochain livre blanc du C*CM (Center for Customer Management – référence française de la recherche académique en stratégie client).
Cette semaine Maison Du Client, partenaire du C*CM, est très heureux de partager avec vous le travail de Eric Julienne.
Ce livre blanc propose une synthèse de 20 articles de recherche qui ont été publiés en Europe et aux Etats-Unis au cours de ces derniers mois. Ils évoquent les enjeux de la relation client.
Pour chacun de ces articles, les universitaires du C*CM ont extrait les points clés de façon à proposer des recommandations pour les décideurs.
Le choix de Eric Julienne du C*CM
Ascarza, Eva (2018), Retention Futility: Targeting High-Risk Customers Might Be Ineffective, Journal of Marketing Research.
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M. Moustache, responsable des programmes de rétention, a bien compris qu’en réduisant le taux de départ client (le churn), il augmente la = profitabilité de son entreprise. Il a donc calculé un score de risque pour chaque client de sa base CRM, puis il a lancé un programme proposant des réductions de prix aux 10% de clients présentant les scores de risque les plus élevés… Mais au fait, ce choix de cible est-il approprié ? Les clients à risque élevé sont-ils nécessairement les clients les plus réceptifs au programme de rétention ?
Le problème
Dans de très nombreux secteurs d’activité, les entreprises gèrent désormais le churn de manière proactive, en détectant dans leur base CRM les clients qui ont le risque de départ le plus élevé. Pourtant, aucune étude n’est venue confirmer que ce sont bien les individus à risque élevé qu’il faut cibler. Prenons l’exemple de deux individus. Le premier présente un risque de départ élevé, disons 40%, et le second un risque de départ plus faible, disons 30%. Il est tentant de cibler l’effort de rétention vers le premier client, celui qui a le plus fort risque.
Mais imaginons maintenant une donnée supplémentaire qui pourrait modifier la perspective.
Imaginons que vous soyez en mesure de prédire qu’à la suite de votre programme de rétention, le risque de départ du 1er client baisse de 5 points, alors que le risque du deuxième client diminue de 10 points. Ce n’est alors plus le premier client qu’il faut cibler, mais le second, celui qui est le plus sensible à votre programme de rétention.
La question posée par l'article
Plutôt que cibler les clients à fort risque de départ, ne faut-il pas plutôt cibler les clients les plus sensibles aux programmes de rétention ?
L'étude des chercheurs
La variable clef qui explique le succès d’un programme de rétention est la sensibilité au programme. Plus un client est sensible au programme, plus son risque de départ diminue lorsqu’il a été exposé au programme. Vous objecterez probablement qu’il est impossible de connaître a priori la sensibilité d’un client à un programme de rétention, d’autant plus que les contenus changent d’un programme à l’autre. Pour connaître cette sensibilité, l’auteure de l’étude, Eva Ascarza, suggère de systématiser les prétests des programmes. La méthode consiste à faire un A/B testing sur la base de deux échantillons tirés au hasard dans la base CRM. L’intérêt de l’A/B testing est ici d’établir un lien statistique entre les caractéristiques de chaque client (par exemple : achats passés, âge, sexe, CSP, etc.) et sa sensibilité au programme, étant entendu que la sensibilité client se calcule programme par programme.
Par extrapolation à la totalité de la base, il devient ensuite possible de calculer, à partir des caractéristiques client, un score prédictif de sensibilité individualisé pour chaque client et pour chaque programme. Ceci permet de cibler les clients dont les scores de sensibilité sont les plus élevés.
Eva Escara montre au travers de deux expérimentations que la méthode consistant à cibler les clients les plus sensibles au programme de rétention est plus efficace que la méthode consistant à cibler les clients ayant le plus fort risque de départ. Elle observe que plusieurs caractéristiques client sont fortement
corrélées au risque de départ alors qu’elles ne sont pas corrélées à la sensibilité au programme.
Ceci explique que le ciblage des clients sur la base du risque de départ est peu efficace.
So what ? L'analyse du C*CM
La méthode fondée sur la sensibilité client au programme interroge les pratiques habituelles fondées sur le risque de départ. Bien sûr, il faut plus de temps (celui de l’A/B testing) et un minimum de capacité en science des données pour la mettre en œuvre. Mais cet effort devrait permettre d’accroître l’efficacité des programmes de rétention tout en optimisant les budgets marketing.
Le regard des partenaires
Les programmes de rétention devraient surtout cibler les clients à forte valeur. Si les clients ne sont pas sensibles au programme de rétention, c’est que celui-ci est peut-être mal conçu. Il faut donc se poser la question de la sensibilité très en amont, en concevant un programme auquel les clients à forte valeur sont sensibles, plutôt que mesurer la sensibilité a posteriori. Toutefois, le concept de sensibilité au programme
couplée à la démarche d’AB testing reste intéressante dans le sens où l’expérimentation permet de contrecarrer les biais cognitifs des managers, de confronter les a priori au réel, de vérifier par l’expérimentation l’efficacité d’un programme.
Sur un plan pratique, l’AB testing est moins complexe à mettre en œuvre pour un e-commerçant pure player que dans l’univers du retail physique où il pose des difficultés parfois difficilement surmontables (deux versions de systèmes de caisse en magasin, deux versions de formation vendeurs, et surtout cohérence avec la communication online). De plus, la durée de l’expérimentation est par nature assez brève, alors que l’efficacité d’un programme de rétention qui joue sur les fondamentaux (par exemple sur la reconnaissance) s’apprécie dans la durée. Enfin, la sensibilité au programme ne devrait peut-être pas être appréhendée au niveau global : plutôt que de mettre en cause un programme de rétention dans son ensemble, peut-être est-il préférable d’en AB tester les différentes composantes. Par exemple, le canal A est-il meilleur que le B ? Un effet surprise est-il plus efficace qu’un bon de réduction ? etc.
Retrouvez deux fois par semaine une nouvelle synthèse d’article sur les enjeux de la stratégie client.
A bientôt !
Maison Du Client.
Le C*CM en bref…
Le Center for Customer Management (C*CM) rassemble 12 universitaires français d’horizons divers à la pointe du management de la relation client, désireux de favoriser les échanges entre les milieux académique et professionnel, et de contribuer ainsi à la réflexion des responsables, consultants et experts du management des clients :
- Thierry Delecolle, ISC
- Florence Jacob, Université de Nantes – IAE
- Eric Julienne, Université d’Evry-Val-d’Essonne, Paris-Saclay
- Sylvie Llosa, Université d’Aix-Marseille – IAE
- Aïda Mimouni-Chaabane, Université de Cergy-Pontoise
- Gilles N’Goala, Université de Montpellier
- Lionel Nicod, Université d’Aix-Marseille
- Virginie Pez, Université de Paris Panthéon- Assas
- Isabelle Prim-Allaz, Université de Lyon
- Valérie Renaudin, Université Paris-Dauphine, PSL
- Françoise Simon, Université Haute Alsace
- Eric Stevens, ESSCA
- Pierre Volle, Université Paris-Dauphine, PSL
Des entreprises partenaires participent également activement aux réflexions du C*CM et le soutiennent financièrement. Elles nous apprennent autant que nous leur apprenons. Leur fidélité nous est précieuse et sans elles le C*CM n’aurait pas de sens.
Un livre blanc sur les recherches en management de la relation client… by C*CM !
Le management des clients est devenu en quelques années une priorité stratégique pour de nombreuses entreprises : acquisition de clients, intelligence client, amélioration de l’expérience client, programmes relationnels, management de communautés de clients, dématérialisation de la relation, etc. Pour étudier en profondeur ces questions stratégiques, le C*CM mobilise les nombreuses recherches publiées en Europe et aux États-Unis.
Après discussion avec divers chefs d’entreprises, nous avons constaté que peu d’entre eux suivent la littérature académique sur les problématiques client. Plusieurs raisons expliquent cet état de fait :
- La lecture d’un article de recherche demande trop de temps et d’efforts. Plusieurs heures de lecture sont nécessaires pour comprendre l’article en profondeur ;
- Le vocabulaire est complexe et la forme peu attrayante ;
- Il faut en lire beaucoup pour en trouver un avec de « vraies» implications managériales ;
- L’accès aux articles n’est pas aisé.
Et pourtant, nos partenaires reconnaissent que beaucoup d’outils et de grilles d’analyses qu’ils utilisent proviennent de la recherche !
Riches de ce constat, nous avons décidé de leur faciliter la vie en éditant chaque année un livre blanc qui regroupe une vingtaine d’articles de recherche liés à la stratégie client qui pourraient les intéresser. La première édition de livre blanc est parue en septembre 2018 et a rencontré un véritable succès.
Les articles qui composent ce livre blanc ont été choisis par les membres du C*CM dans des revues classées par le CNRS. Cette année, Grégoire Bothorel (Numberly), a participé à cette édition en proposant un article sur vingt. Les contributeurs ont synthétisé, contextualisé et illustré les articles sélectionnés, au travers de plusieurs rubriques qui rythment les fiches de présentation : la problématique client, ce que dit la recherche sur ce thème, le so what qui explique comment l’on peut en tirer parti dans les pratiques d’entreprises, et le regard des pros dans lequel nos entreprises partenaires livrent leur analyse.
Nous n’avons pas la prétention d’avoir choisi les « meilleurs » articles mais ceux qui sont susceptibles d’intéresser les professionnels, car ils débouchent sur des réponses concrètes, des recommandations pratiques. Nous sommes tous d’horizons différents, certains plus sensibles au digital, d’autres aux services, d’autres encore aux programmes de fidélité ou à l’expérience client… Cette diversité colore le livre d’approches complémentaires.
Un premier jeu d’articles a été présenté à nos partenaires qui ont commenté et sélectionné leurs préférés. Cette co-création du livre blanc a été un véritable plaisir pour tous.