Le consommateur, victime ou héros des systèmes CRM
Article paru dans le numéro 254 de la Revue de la Gendarmerie Nationale Déc 2015.
Le consommateur, victime ou héros des systèmes CRM ?
L’avènement du big data et des objets connectés sonne le glas des interprétations plus ou moins sérieuses sur l’enjeu de la donnée client et de sa sécurité. Désormais il est établi que cette donnée devient un élément constitutif du capital d’une société, d’abord dans les intérêts économiques que son exploitation révèle, ensuite dans sa dimension sécuritaire par la confidentialité de certaines informations.
Dans les deux cas la gestion de la relation client qui justifie et qui légitimise au quotidien l’exploitation de la donnée client, est au centre du débat et en cela mérite une analyse critique.
Maitre de conférences associé en marketing relationnel (Université Bretagne Sud IUT) et consultant en stratégie client (Dirigeant fondateur de Maison Du Client), Christophe Bouguereau revient pour nous sur les enjeux d’une solution de Customer Relationship Management.
La multiplication des programmes relationnels et des initiatives de ecommerce nous invite à revenir sur le principe général de la relation client par solution logicielle. Pouvez-vous nous rappeler le contexte qui a conduit au développement de ses solutions et nous dresser une cartographie des approches mises à la disposition des entreprises au cours de ces dernières années ? (Principe et solutions essentielles sur le marché)
Le commerce a longtemps été associé à la notion réductrice de « transactions » : le vendeur transmet un message associé à un produit ou un service avec la volonté de convaincre le plus grand nombre. Cette communication unilatérale, de la marque vers le consommateur, s’appuie sur un postulat fort : la rareté de l’offre au regard d’une demande forte et en croissance. Les années 80/90 et le rééquilibrage « besoin-offre » ont quelque peu corrigé cette vision en introduisant la notion de rapport « qualité/prix ». La mise à disposition d’un produit ne pouvait plus suffire, il fallait désormais que celui-ci respecte des critères attendus par le client. L’idée maîtresse des marques restait cependant fondée sur l’idée que les consommateurs constituaient une cible homogène et passive dans l’attente de la vérité détenue par les marques.
Cette idée est aujourd’hui dépassée, tout au moins pour les économies occidentales, par un état de fait : dans une économie proche de la décroissance, l’offre est à ce jour largement supérieure à la demande. De fait le produit ou le service ne peut exister que dans la mesure où il s’adresse à une attente identifiée. Aujourd’hui le marketing est bel et bien devenu une affaire de «relations » et les marques qui réussiront dans le futur sont celles qui parviendront à tisser des liens de plus en plus personnels avec leurs clients au travers d’un parcours client spécifique où l’expérience client prendra tout son sens.
L’expérience client est fortement associée à la notion de « moment de vérité ».
Pour aller plus loin il faut s’intéresser aux travaux menés par Procter & Gamble dans les années 90 sur le concept de « moments de vérité ». L’industriel avait alors identifié le FMOT (First Moment Of Truth). Un stimulus (principalement issu des médias classiques comme la télévision) pousse le consommateur vers le magasin où le premier contact avec le produit ou service s’opère et est à l’origine du déclenchement d’une intention d’achat. Cet achat est alors suivi d’un usage : le Second Moment of Truth (SMOT). En 2010, Google rebondit sur cette approche et l’adapte à l’ère digitale en introduisant « le nouveau modèle mental du marketing » : le ZMOT c’est-à-dire le « Zero Moment Of Truth ». Ce moment particulier où le consommateur est en recherche d’information, notamment via les moteurs de recherche et les réseaux sociaux, vient se placer entre le stimulus et le premier contact avec le produit dans un magasin (physique ou en ligne). Simultanément Google a proposé la notion d’UMOT (Ultimate Moment of Truth). Il s’agit dans ce cas du partage sur la toile de l’expérience vécue par le client via notamment les réseaux sociaux.
A cette succession linéaire de moments de vérité, le concept de Permanent Moment Of Truth semble aujourd’hui plus pertinent. A savoir qu’en permanence les clients sont susceptibles d’agir, pour ou contre la marque, via des supports proposés par la marque mais également au travers de média complétement indépendants, interactifs et accessibles immédiatement, en premier lieu le mobile. Un tel contexte est à rapprocher des situations de crise bien connues dans l’univers de la production industrielle. Comment être en alerte et capter les signaux les plus faibles de façon à proposer la réponse appropriée ? Une solution serait de passer par la mise en place de « Customer Rooms » à l’image des « War Rooms ». Dans ces espaces se cristallisent les différentes typologies de client et les pilotages associés : depuis leurs effectifs jusqu’à leur satisfaction en passant par leur valeurs.
Capter ces signaux faibles nécessite une réelle organisation de l’écoute client dans un mode omnicanal. De cette écoute, associée à une capacité de collecte, de tri et d’organisation de l’information pertinente, découlera une création de valeur. Une entreprise qui recueille des données « brutes » quelles que soient les sources, les trie, les exploite et les enrichit, est à même de créer de la connaissance client. Cette connaissance client donne des opportunités de prises de paroles pertinentes et par conséquent plus efficaces en matière de retours sur investissement. Nous pouvons parler de prises de paroles CCCS : Cohérentes (quel que soit le canal, le discours est le même), Coordonnées (les différentes prises de paroles interagissent de façon à construire une histoire), Convergentes (les différentes informations échangées intègrent un système central comme un datawarehouse) et Synchronisées (partagées en temps réel dans un écosystème informationnel ou système CRM).
Dans le contexte des organisations complexes, la difficulté consiste à collecter et à organiser les données dans une « Customer Data Base » unique alors même que les sources sont potentiellement hétérogènes, non structurées et générées en grande partie par des individus à forte autonomie avec un faible « référentiel commun ». L’enjeu est essentiellement organisationnel et managérial. Cet entrepôt de données doit alimenter et être alimenté par les autres briques du système CRM : l’outil de relation commercial (le terminal de paiement en boutique ou la tablette pour les commerciaux), l’outil de centre de contact (les échanges à distances), l’outil de gestion automatique des campagnes marketing (Electronic Marketing Automation) et les outils analytiques et de reporting (Datamining).
Opportunités et enjeux du Big Data
Pour améliorer leur connaissance client et notamment appréhender le vécu client dans le cadre de son parcours d’achat, les entreprises s’intéressent de plus en plus aux données externes : les conversations sur le web, les commentaires rédigés sur les sites d’avis, sur les forums de discussions, sur les réseaux sociaux. Ces données externes constituent une grande partie du Big Data et sont potentiellement riches d’expériences racontées de façon spontanées.
Face à cette profusion d’informations non structurées, l’entreprise peut être mise en difficulté. Ainsi le principal enjeu du big data, c’est d’être capable de faire le tri parmi toutes les données disponibles : mieux vaut 5.000 commentaires correctement qualifiés plutôt que 100.000 inexploitables car hors sujets.
Pour cela il convient de prendre de la hauteur et de hiérarchiser les enjeux et les priorités.
Consolider l’ensemble des informations aisément accessibles constitue la première étape d’une approche plus globale qui s’enrichira au fur et à mesure et qui pourra s’ouvrir aux autres sources d’information d’un omnicanal élargi aux réseaux sociaux. Pour l’entreprise, l’enjeu consiste à tracer sa route en se concentrant sur son cœur de métier. Il faut avoir une vision claire des étapes à venir et ne pas se disperser.
Cette connaissance client sera profitable par la suite tout au long du processus relationnel. A titre d’illustration, Arnaud Bouchard directeur associé en charge de l’entité « expérience client » chez Cap Gemini Consulting a mis en évidence les plaintes des internautes du fait de la non prise en compte de la connaissance client dans les programmes de fidélité. Si les consommateurs veulent toujours que leur fidélité soit récompensée, ils ont surtout besoin de « reconnaissance » et à ce titre réclament une vraie interaction avec la marque. Les marques doivent donc apprendre à considérer les engagements affichés sur les réseaux sociaux, les commentaires sur les produits achetés, le nombre de visites dans un magasin, les réponses aux questionnaires de satisfaction ou encore le téléchargement d’une application pour smartphone. La data ainsi partagée constitue pour le client une opportunité d’être pris personnellement en compte par l’entreprise et par conséquent de recevoir des offres personnalisées. En partageant une partie de ses données personnelles, le client devient héros du système CRM.
Le dispositif relationnel devenu très complexe nécessite d’être dorénavant piloté et organisé autour de solutions logicielles globales intégrant quasi nativement toutes les dimensions d’un CRM. Sur ce terrain les 4 leaders (Salesforce, Oracle, Microsoft et SAP) ont ces dernières années consolidées leur place et distancent largement les autres solutions qui se distinguent généralement sur des niches de métiers en intégrant des spécificités ignorées jusqu’à maintenant par les généralistes.
Pouvez-vous mentionner quels sont les intérêts pour une entreprise de bénéficier de cette solution / Secret des affaires et constitution d’une valeur ajoutée.
Les solutions logicielles ont pour objectif de placer la donnée client au cœur du système d’information. Elles visent une parfaite connaissance des clients, de leur profil, de leur valeur de manière à mieux identifier leurs besoins et développer des démarches sécurisées en matière de commerce, de communication, de fidélisation et de prospection. Les autres impacts constatés de ces outils sont généralement la facilité d’usage et les gains de productivité.
Un système CRM performant permet de développer au sein de l’entreprise une approche transversale où les échanges seront faciles et sécurisés. Echanges vers l’externe bien évidemment mais également en interne de façon à s’assurer du respect de la confidentialité de certaines données. A ce titre la maîtrise du portefeuille clients d’une entreprise est un acte crucial non négociable et les stratégies de différenciation et de personnalisation voulues par les entreprises en renforcent la nécessité.
Collecter et organiser la donnée permet de créer de la connaissance client et assure un avantage concurrentiel pour tous ceux qui sont en mesure d’exploiter intelligemment cette information. Pour autant il ne s’agit pas de confondre outil et stratégie. Le système CRM n’est qu’un ensemble d’outils, certes très performants si ils sont bien intégrés, mais ces outils ne construisent pas de parcours client, ni encore moins n’identifient de moments de vérité.
Par conséquent, pour créer une véritable valeur ajoutée et éviter l’arrêt de tels projets, l’entreprise doit précédemment à tout choix technique formaliser expressément ses besoins métiers ainsi que les enjeux réglementaires et sécuritaires associés.
En cela la solution logicielle impacte directement les dimensions organisationnelles et les processus métiers.
La collecte des informations personnelles dans le cadre d’un CRM est-elle sécurisable ? Le risque n’est-il pas de faire du client, une victime du CRM ?
Il faut garder à l’esprit que tout système informatique peut être « hacké », piraté (Tanguy de Coatpont, directeur général de Kaspersky Lab France et Afrique du Nord). Dès qu’un système informatique est, d’une manière ou d’une autre, connecté à internet ou à un autre réseau informatique, des individus malveillants peuvent y pénétrer et y dérober des informations. Toutefois ces actes de piraterie nécessitent un véritable investissement (connaissance informatique et moyens humains) que ne justifient pas nécessairement une base de connaissance client.
Même si comme nous venons de le voir, la force et la puissance d’une solution de relation client par logicielle réside dans sa capacité à exploiter un maximum de données il faut relativiser les risques. D’un point de vue des systèmes CRM et des sécurités associées il faut veiller à distinguer les données pertinentes d’un point de vue marketing ventes destinées à être conservées et valorisées dans le temps, des données transactionnelles (au premier rang desquels figurent les comptes bancaires) qui doivent eux faire l’objet d’une exploitation momentanée et réglementée associée à une sécurité normalisée.
A ce stade l’entreprise doit être en mesure de calibrer le niveau de criticité de ses différentes données et des applications associées. Pour cela elle doit être capable d’estimer l’impact financier que pourrait avoir tel ou tel sinistre ou incident sérieux, d’une part, et le degré de probabilité que ces incidents ou sinistres surviennent, d’autre part. En fonction des niveaux de risques ainsi établis, il faut alors proposer des niveaux de sécurité appropriés, donc différents, selon les usages. C’est la bonne voie pour trouver l’équilibre entre une sécurisation indispensable de certaines données et une exploitation de la connaissance client nécessaire au développement d’une relation client de plus en plus individualisée et personnalisée.
L’explosion des datas associée à la généralisation de solutions logicielle « cloud » invitent bien évidemment à un examen critique de la sécurité des données, mais d’un point de vue stratégie d’entreprise c’est la pertinence même de cette accumulation qui doit être challengée. Sans stratégie, sans vision il n’est pas nécessaire d’investir dans des solutions de logicielle couteuse, parfois le bon sens et le pragmatisme peuvent suffire.
D’un point de vue client, le risque est un usage maladroit et non respectueux par l’entreprise de ses données qui conduirait par exemple à une sur sollicitation commerciale. Devenu victime de ces solutions le client serait amené à prendre des décisions drastiques qui mettraient en cause la rentabilité même du dispositif relationnel mis en place.
Une solution logicielle CRM doit de fait être considérée comme une opportunité dans l’installation d’une relation respectueuse et pérenne entre l’entreprise et ses clients. Pour cela il convient de garder à l’esprit que l’un des critères pour qualifier une relation, de « relation de confiance » est la bienveillance établie par le puissant à destination de son client.