CAS 4 : Faut-il abandonner la religion du parcours client « sans couture » ?
En attendant l’édition 2022-2023 du livre blanc du CCM (Center for Customer Management), cet été, Maison Du Client vous propose de réviser vos classiques.
Le Center for Customer Management (C*CM) rassemble 12 universitaires français d’horizons divers à la pointe du management de la relation client, désireux de favoriser les échanges entre les milieux académique et professionnel, et de contribuer ainsi à la réflexion des responsables, consultants et experts du management des clients :
- Thierry Delecolle, ISC
- Florence Jacob, Université de Nantes – IAE
- Eric Julienne, Université d’Evry-Val-d’Essonne, Paris-Saclay
- Sylvie Llosa, Université d’Aix-Marseille – IAE
- Aïda Mimouni-Chaabane, Université de Cergy-Pontoise
- Gilles N’Goala, Université de Montpellier
- Lionel Nicod, Université d’Aix-Marseille
- Virginie Pez, Université de Paris Panthéon- Assas
- Isabelle Prim-Allaz, Université de Lyon
- Valérie Renaudin, Université Paris-Dauphine, PSL
- Françoise Simon, Université Haute Alsace
- Eric Stevens, ESSCA
- Pierre Volle, Université Paris-Dauphine, PSL
Des entreprises partenaires participent également activement aux réflexions du C*CM et le soutiennent financièrement. Elles nous apprennent autant que nous leur apprenons. Leur fidélité nous est précieuse et sans elles le C*CM n’aurait pas de sens.
Un livre blanc sur les recherches en management de la relation client… by C*CM !
Le management des clients est devenu en quelques années une priorité stratégique pour de nombreuses entreprises : acquisition de clients, intelligence client, amélioration de l’expérience client, programmes relationnels, management de communautés de clients, dématérialisation de la relation, etc. Pour étudier en profondeur ces questions stratégiques, le C*CM mobilise les nombreuses recherches publiées en Europe et aux États-Unis.
Après discussion avec divers chefs d’entreprises, nous avons constaté que peu d’entre eux suivent la littérature académique sur les problématiques client. Plusieurs raisons expliquent cet état de fait :
- La lecture d’un article de recherche demande trop de temps et d’efforts. Plusieurs heures de lecture sont nécessaires pour comprendre l’article en profondeur ;
- Le vocabulaire est complexe et la forme peu attrayante ;
- Il faut en lire beaucoup pour en trouver un avec de « vraies» implications managériales ;
- L’accès aux articles n’est pas aisé.
Et pourtant, nos partenaires reconnaissent que beaucoup d’outils et de grilles d’analyses qu’ils utilisent proviennent de la recherche !
Riches de ce constat, nous avons décidé de leur faciliter la vie en éditant chaque année un livre blanc qui regroupe une vingtaine d’articles de recherche liés à la stratégie client qui pourraient les intéresser. La première édition de livre blanc est parue en septembre 2018 et a rencontré un véritable succès.
Les articles qui composent ce livre blanc ont été choisis par les membres du C*CM dans des revues classées par le CNRS. Cette année, Grégoire Bothorel (Numberly), a participé à cette édition en proposant un article sur vingt. Les contributeurs ont synthétisé, contextualisé et illustré les articles sélectionnés, au travers de plusieurs rubriques qui rythment les fiches de présentation : la problématique client, ce que dit la recherche sur ce thème, le so what qui explique comment l’on peut en tirer parti dans les pratiques d’entreprises, et le regard des pros dans lequel nos entreprises partenaires livrent leur analyse.
Nous n’avons pas la prétention d’avoir choisi les « meilleurs » articles mais ceux qui sont susceptibles d’intéresser les professionnels, car ils débouchent sur des réponses concrètes, des recommandations pratiques. Nous sommes tous d’horizons différents, certains plus sensibles au digital, d’autres aux services, d’autres encore aux programmes de fidélité ou à l’expérience client… Cette diversité colore le livre d’approches complémentaires.
Un premier jeu d’articles a été présenté à nos partenaires qui ont commenté et sélectionné leurs préférés. Cette co-création du livre blanc a été un véritable plaisir pour tous.
Marie est une jeune femme athlétique qui habite Lyon et travaille dans l’administration des ventes d’un laboratoire pharmaceutique. Elle a été en couple pendant trois ans et après une séparation récente, elle cherche à faire de nouvelles rencontres amoureuses. Marie s’est inscrite sur Tinder depuis quelques semaines et utilise désormais l’application plusieurs fois par jour. Elle a également renouvelé son adhésion à Crossfit où elle se rend régulièrement pour s’entraîner. Comment ces deux entreprises vont-elles faire en sorte que l’expérience de Marie ne soit pas seulement fluide et « sans couture » mais également riche de découvertes, de surprises, afin d’éviter qu’elle ne se lasse rapidement ?
Le problème
La question posée par l'article
À l’opposé des parcours « fluides » vantés par les spécialistes de l’expérience client, peut-on concevoir des parcours « prenants », riches d’aventures, de surprises, de discontinuités et de découvertes. Par ailleurs, quand privilégier tel ou tel type de parcours (« fluides » vs. « prenants »), à quel moment déclencher l’achat (« au début » vs. « plus tard ») et comment combiner ces deux logiques ?
L'étude des chercheurs
Les auteurs ont conduit une recherche qualitative sur la base d’observations, d’entretiens et de documents concernant la pratique de trois services (Tinder, CrossFit et Pokemon Go) afin de conceptualiser ce que pourrait être une alternative aux parcours « fluides ».
À des parcours « fluides » qui visent à fidéliser les clients en réduisant les risques d’un incident par une simplification et une routinisation des étapes, ils opposent les parcours « prenants » qui visent à maintenir l’implication du client en proposant des surprises, des changements, des variations et dont la visée générale est le bien-être des clients.
L’implication dans les parcours « prenants » est rapide : création de compte simplifiée, possibilité d’essayer le service gratuitement, prise en main immédiate… L’achat et le paiement interviennent plus tard (à la différence des parcours « fluides » ou l’achat intervient au début du cycle). Les parcours « fluides » sont associés à une « boucle de fidélisation », tandis que les parcours « prenants » sont associés à une « spirale de l’implication ». Le choix de proposer un cycle de parcours « fluides » ou « prenants » dépend essentiellement du type de service. Ainsi, les services utilitaires (comme les services bancaires) sont plutôt associés à des boucles de fidélisation tandis que les services hédoniques (comme les sites de rencontre) sont plutôt associés à des spirales d’implication.
Doit-on pour autant choisir entre boucle de fidélisation et spirale d’implication ? La réponse est non.
De fait, à mesure que les expériences se renouvellent au cours d’un « cycle » (qui peut durer plusieurs semaines, mois ou années), les auteurs explorent les modalités pour combiner ces deux logiques pendant la durée d’un cycle expérientiel : 1) créer deux boucles de fidélisation ou deux spirales d’implication ; 2) créer une spirale d’implication en plus d’une boucle de fidélisation existante ou, à l’inverse, créer une boucle de fidélisation en plus d’une spirale d’implication ; 3) étendre une boucle de fidélisation en ajoutant une spirale d’implication ou, à l’inverse, consolider une spirale d’implication en ajoutant une boucle de fidélisation.
So what ? L'analyse du C*CM
La recherche permet de prendre de la distance par rapport à l’idéologie dominante de la fluidification des parcours. Elle offre une conceptualisation alternative au sacro-saint parcours « sans couture » ainsi que des recommandations pratiques pour combiner les logiques de fidélisation et d’implication dans un même cycle.
Plus largement, la recherche prône une approche de long terme du management de l’expérience client, au-delà du pilotage omnicanal des interactions. Ce management expérientiel se déploie dans la durée. Il suppose de concevoir un cycle d’expériences qui doit simultanément atteindre des objectifs a priori contradictoires de fidélisation et d’implication renouvelée.
Le regard des partenaires
Cette recherche est intéressante car elle propose une conceptualisation des parcours « sticky », par opposition aux parcours « frictionless ». Cette réflexion répond à la préoccupation des partenaires de proposer à leurs clients l’expérience du « monde d’après », d’une certaine manière un monde où la réponse la moins chère et la plus rapide en termes de produits et de services ne suffit plus à satisfaire pleinement les aspirations des clients.
Cette recherche donne les outils pour penser cette expérience « prenante » sans tomber dans le piège qui consisterait à opposer radicalement les logiques de facilité et d’immédiateté (qui caractérisent la boucle de fidélisation) avec les logiques de singularité, de variété et de curiosité (qui caractérisent la spirale d’implication).
Cette recherche est également intéressante car elle met l’accent sur l’usage plutôt que sur l’achat (qui devient une considération seconde, une fois l’usage installé). Elle met également l’accent sur la reprise des codes issus du jeu vidéo dans les services (surprises, obstacles, défis…), une tendance que l’on retrouve fortement en Chine où le commerce converge avec les réseaux sociaux et les jeux vidéo. Ce « management de la surprise » repose en partie sur l‘interaction entre les « joueurs-clients ».
A bientôt !