Infidèle, ou fidèle par catégorie : et si on parlait de fidélité polygame à l’enseigne ?
Tout au long de cet été nous vous proposons de découvrir en avant-première un article issu du prochain livre blanc du C*CM (Center for Customer Management – référence française de la recherche académique en stratégie client).
Cette semaine Maison Du Client, partenaire du C*CM, est très heureux de partager avec vous le travail de Aïda Mimouni.
Ce livre blanc propose une synthèse de 20 articles de recherche qui ont été publiés en Europe et aux Etats-Unis au cours de ces derniers mois. Ils évoquent les enjeux de la relation client.
Pour chacun de ces articles, les universitaires du C*CM ont extrait les points clés de façon à proposer des recommandations pour les décideurs.
Le choix d’Aïda Mimouni du C*CM :
Qin Zhang, Manish Gangwar et P.B. Seetharaman (2017), Polygamous store loyalty: An empirical investigation, Journal of Retailing, 93, 4, 477-492.
Madame Dubois fréquente trois enseignes de manière égale, mais elle n’y achète pas les mêmes types de produit. Ainsi, elle n’achète son poisson et sa viande que chez Intermarché, ses produits d’entretien proviennent toujours de chez Carrefour et ses fruits et légumes de chez Lidl.
Selon l’approche classique de la définition et de la mesure de la fidélité (i.e., fréquence de visite et panier moyen), Madame Dubois est au pire une cliente infidèle, au mieux une cliente « polygame ». Or, si l’on considère que Mme Dubois achète les mêmes catégories de produits au sein de chaque enseigne, peut-on nuancer notre jugement sur sa fidélité ? L’article de Zhang, Gangwar et Seetharamann suggère que oui.
« À Carrefour pour les produits d’entretien…
À Lidl pour mes fruits et légumes…
À Intermarché pour le poisson et la viande. »
Le problème
99% des français possèdent une carte de fidélité d’une enseigne de grande distribution. Et pourtant, les clients sont de moins en moins fidèles aux enseignes, variant les circuits et enseignes fréquentées. Comment les enseignes peuvent-elles regagner de la fidélité et de la préférence dans un contexte fortement concurrentiel ? Le marketing des enseignes et le category management, largement développés depuis une vingtaine d’années, conduisent les enseignes, catégorie par catégorie, à rechercher une « différence positive » pour « gagner de la préférence ». Dans ce combat pour fidéliser le client, les données globales peuvent décourager, et pourtant, quand on regarde de plus près, analyser la fidélité à l’enseigne au niveau de la catégorie est une idée qui fait avancer les enseignes.
La question posée par l’article
Comment dépasser le paradigme dominant qui consiste à mesure la fidélité de manière globale au niveau de l’enseigne (overall store loyalty) pour prendre en compte de manière plus juste les nouvelles habitudes de consommation en s’appuyant sur la fidélité à la catégorie (store-category loyalty) ? Suffit-il au vendeur d’être orienté client pour être performant (la performance étant caractérisée par le fait de vendre à court terme et de fidéliser à long terme) ? Que se passe-t-il si l’on adjoint une dose de techniques d’influence à l’orientation client ?
L’étude des chercheurs
Les auteurs ont étudié les achats d’un panel de 1280 ménages sur plus d’un an, pour 14 enseignes de grande distribution de différents formats (supermarché, club-entrepôt, etc.). Les résultats parlent d’eux-mêmes ! D’abord, pour plus de 50% des achats, la moitié des ménages étudiés ne fréquente pas leur enseigne préférée. Ce résultat démontre bien que la définition classique de la fidélité est peu représentative du comportement des clients, qui au contraire partagent leurs achats entre plusieurs enseignes. Ensuite, l’analyse de près d’un million d’achats dans 244 catégories montre que chaque ménage achète tous les produits appartenant à la même catégorie auprès d’une enseigne unique, et ce au moins pour une catégorie de produits. Plus précisément, en moyenne, le pourcentage de catégories de produits achetées de manière exclusive dans une enseigne donnée est de 38%. Enfin, 54% de l’attractivité perçue de la catégorie s’explique par des variables différentes de celles expliquant l’attractivité globale de l’enseigne, renforçant l’urgence d’analyser la fidélité au niveau de la catégorie.
Ces résultats montrent bien que l’évolution vers une définition plus catégorielle de la fidélité est plus pertinente car elle est plus cohérente avec les comportements d’achat réels.
Les chercheurs formulent des pistes concrètes à destination des responsables d’enseignes. Comprendre l’attractivité relative de l’enseigne par catégorie permet : (1) d’identifier de manière plus fine ses concurrents directs et indirects, et d’avoir une vision claire des catégories stratégiques qui font sa force ;(2) de mieux arbitrer entre les ressources et de mieux orienter leurs décisions d’investissements, en allouant potentiellement plus de ressources aux catégories les plus attractives et les plus appréciées par les clients.
So what ? L’analyse du C*CM
Analyser et valoriser la fidélité à la catégorie de produits est une piste intéressante pour la conception des programmes de fidélisation des enseignes. Changer de paradigme en ce qui concerne la fidélité des clients et la penser au niveau de la catégorie de produits est beaucoup plus proche de la réalité des nouveaux modes de fréquentation des magasins. Aboutissement ou non des stratégies de différenciation et du category management, cette recherche permet d’interpréter de manière plus positive la fidélité « polygame » à l’enseigne et d’envisager des programmes de fidélité originaux et plus efficients.
Le regard des partenaires
On analyse très peu en détail le panier du client aujourd’hui alors que les mérites d’une telle approche sont évidents. L’axe de lecture proposé par cet article est donc très intéressant et permet de compléter/approfondir l’analyse globale du panier moyen. Cela permettrait aussi de mieux faire face à la concurrence des enseignes hyper spécialisées, stratégie de positionnement plutôt efficace.
Retrouvez chaque semaine une nouvelle synthèse d’article sur les enjeux de la stratégie client.
A bientôt !
Maison Du Client.
Le C*CM en bref…
Le Center for Customer Management (C*CM) rassemble 12 universitaires français d’horizons divers à la pointe du management de la relation client, désireux de favoriser les échanges entre les milieux académique et professionnel, et de contribuer ainsi à la réflexion des responsables, consultants et experts du management des clients :
- Thierry Delecolle, ISC
- Florence Jacob, Université de Nantes – IAE
- Eric Julienne, Université d’Evry-Val-d’Essonne, Paris-Saclay
- Sylvie Llosa, Université d’Aix-Marseille – IAE
- Aïda Mimouni-Chaabane, Université de Cergy-Pontoise
- Gilles N’Goala, Université de Montpellier
- Virginie Pez, Université de Paris Panthéon- Assas
- Isabelle Prim-Allaz, Université de Lyon
- Valérie Renaudin, Université Paris-Dauphine, PSL
- Françoise Simon, Université Haute Alsace
- Eric Stevens, ESSCA
- Pierre Volle, Université Paris-Dauphine, PSL
Des entreprises partenaires participent également activement aux réflexions du C*CM et le soutiennent financièrement. Elles nous apprennent autant que nous leur apprenons. Leur fidélité nous est précieuse et sans elles le C*CM n’aurait pas de sens.
Un livre blanc sur les recherches en management de la relation client… by C*CM !
Le management des clients est devenu en quelques années une priorité stratégique pour de nombreuses entreprises. Acquisition de clients, intelligence client, amélioration de l’expérience client, programmes relationnels, management de communautés de clients, dématérialisation de la relation : les questions, enjeux et pratiques ne cessent d’évoluer.
Après discussion avec divers chefs d’entreprises, nous avons constaté que peu d’entre eux suivent la littérature académique sur les problématiques client. Plusieurs raisons expliquent cet état de fait :
- La lecture d’un article de recherche demande trop de temps et d’efforts. Plusieurs heures de lecture sont nécessaires pour comprendre l’article en profondeur ;
- Le vocabulaire est complexe et la forme peu attrayante ;
- Il faut en lire beaucoup pour en trouver un avec de « vraies» implications managériales ;
- L’accès aux articles n’est pas aisé.
Et pourtant, nos partenaires reconnaissent que beaucoup d’outils et de grilles d’analyses qu’ils utilisent proviennent de la recherche !
Riches de ce constat, nous avons décidé de leur faciliter la vie en éditant chaque année un livre blanc qui regroupe une vingtaine d’articles de recherche, liés à la stratégie client, susceptibles de les intéresser. Le C*CM a donc mobilisé au cours des derniers mois les nombreuses recherches publiées en Europe et aux États-Unis en 2017, pour aboutir à 20 idées fortes issues de la recherche à partager avec les managers concernés par le client.
Ces articles ont été choisis par les membres du C*CM dans des revues classées par le CNRS. Les enseignants-chercheurs ont synthétisé, contextualisé et illustré les articles sélectionnés, au travers de plusieurs rubriques qui rythment les fiches de présentation : la problématique client, ce que dit la recherche sur ce thème, le « So what » qui explique comment l’on peut en tirer parti dans les pratiques d’entreprises, et le « Regard des partenaires » dans lequel nos entreprises partenaires nous livrent les réflexions que leur ont inspirées les articles. Nous n’avons pas la prétention d’avoir choisi les « meilleurs » articles mais ceux qui sont susceptibles d’intéresser le plus les professionnels, ceux qui débouchent sur des réponses concrètes, des recommandations pratiques. Les enseignants-chercheurs du C*CM sont tous issus d’horizons différents, certains plus sensibles au digital, d’autres aux services, d’autres encore aux programmes de fidélité ou à l’expérience client… Cette diversité colore le livre d’approches complémentaires.
Un premier jeu d’articles a été présenté, lors d’une journée d’échanges, à nos partenaires qui ont commenté et sélectionné leurs articles préférés. Nous leur donnons la parole dans les premières pages, avant de vous proposer la lecture des fiches de présentation des 20 articles sélectionnés.
Nous sommes donc heureux et fiers de vous présenter cette première édition du Livre Blanc du C*CM, et vous donnons rendez-vous l’année prochaine pour partager avec vous ce que nous aurons retenu de la recherche en 2018 !