Faut-il abandonner la religion du parcours client « sans couture » ?

Nous vous proposons de découvrir en avant-première un article issu du prochain livre blanc du C*CM (Center for Customer Management – référence française de la recherche académique en stratégie client).
Aujourd’hui Maison Du Client, partenaire du C*CM, est très heureux de partager avec vous le travail de Pierre Volle.
Ce livre blanc propose une synthèse de 16 articles de recherche qui ont été publiés en Europe et aux Etats-Unis au cours de ces derniers mois. Ils évoquent les enjeux de la relation client.
Pour chacun de ces articles, les universitaires du C*CM ont extrait les points clés de façon à proposer des recommandations pour les décideurs.
Le choix de Pierre Volle du C*CM :
Siebert Anton, Gopaldas Ahir, Lindridge Andrew and Claudia Simoes (2020). Customer Experience Journeys: Loyalty
Loops Versus Involvement Spirals, Journal of Marketing, 84, 4, pp. 45-66.
Partie 1 : La prise en compte des facteurs de contingences contextuels et individuels lors du design des parcours clients
Faut-il abandonner la religion du parcours client « sans couture » ?
Marie est une jeune femme athlétique qui habite Lyon et travaille dans l’administration des ventes d’un laboratoire pharmaceutique. Elle a été en couple pendant trois ans et après une séparation récente, elle cherche à faire de nouvelles rencontres amoureuses. Marie s’est inscrite sur Tinder depuis quelques semaines et utilise désormais l’application plusieurs fois par jour. Elle a également renouvelé son adhésion à Crossfit où elle se rend régulièrement pour s’entraîner. Comment ces deux entreprises vont-elles faire en sorte que l’expérience de Marie ne soit pas seulement fluide et « sans couture » mais également riche de découvertes, de surprises, afin d’éviter qu’elle ne se lasse rapidement ?

Le problème
La plupart des spécialistes du management de l’expérience client recommandent de simplifier les parcours des clients, de les fluidifier, de les rendre parfaitement prévisibles. Pour autant, lorsque le client renouvelle cette expérience de service plusieurs fois, le risque de lassitude et d’ennui est important, incitant le client à découvrir les offres concurrentes. Dans ce contexte, comment maintenir l’intérêt du client au fil du temps, autrement dit, comment combiner fidélisation et implication ?
La question posée par l'article
À l’opposé des parcours « fluides » vantés par les spécialistes de l’expérience client, peut-on concevoir des parcours « prenants », riches d’aventures, de surprises, de discontinuités et de découvertes. Par ailleurs, quand privilégier tel ou tel type de parcours (« fluides » vs. « prenants »), à quel moment déclencher l’achat (« au début » vs. « plus tard ») et comment combiner ces deux logiques ?
L'étude des chercheurs
Les auteurs ont conduit une recherche qualitative sur la base d’observations, d’entretiens et de documents concernant la pratique de trois services (Tinder, CrossFit et Pokemon Go) afin de conceptualiser ce que pourrait être une alternative aux parcours « fluides ». À des parcours « fluides » qui visent à fidéliser les clients en réduisant les risques d’un incident par une simplification et une routinisation des étapes, ils opposent les parcours « prenants » qui visent à maintenir l’implication du client en proposant des surprises, des changements, des variations et dont la visée générale est le bien-être des clients.
L’implication dans les parcours « prenants » est rapide : création de compte simplifiée, possibilité d’essayer le service gratuitement, prise en main immédiate… L’achat et le paiement interviennent plus tard (à la différence des parcours « fluides » ou l’achat intervient au début du cycle). Les parcours « fluides » sont associés à une « boucle de fidélisation », tandis que les parcours « prenants » sont associés à une « spirale de l’implication ». Le choix de proposer un cycle de parcours « fluides » ou « prenants » dépend essentiellement du type de service. Ainsi, les services utilitaires (comme les services bancaires) sont plutôt associés à des boucles de fidélisation tandis que les services hédoniques (comme les sites de rencontre) sont plutôt associés à des spirales d’implication.
Doit-on pour autant choisir entre boucle de fidélisation et spirale d’implication ? La réponse est non.
De fait, à mesure que les expériences se renouvellent au cours d’un « cycle » (qui peut durer plusieurs semaines, mois ou années), les auteurs explorent les modalités pour combiner ces deux logiques pendant la durée d’un cycle expérientiel : 1) créer deux boucles de fidélisation ou deux spirales d’implication ; 2) créer une spirale d’implication en plus d’une boucle de fidélisation existante ou, à l’inverse, créer une boucle de fidélisation en plus d’une spirale d’implication ; 3) étendre une boucle de fidélisation en ajoutant une spirale d’implication ou, à l’inverse, consolider une spirale d’implication en ajoutant une boucle de fidélisation.
So what ? L'analyse du C*CM
La recherche permet de prendre de la distance par rapport à l’idéologie dominante de la fluidification des parcours. Elle offre une conceptualisation alternative au sacro-saint parcours « sans couture » ainsi que des recommandations pratiques pour combiner les logiques de fidélisation et d’implication dans un même cycle. Plus largement, la recherche prône une approche de long terme du management de l’expérience client, au-delà du pilotage omnicanal des interactions. Ce management expérientiel se déploie dans la durée. Il suppose de concevoir un cycle d’expériences qui doit simultanément atteindre des objectifs a priori contradictoires de fidélisation et d’implication renouvelée.
Le regard des partenaires
Cette recherche est intéressante car elle propose une conceptualisation des parcours « sticky », par opposition aux parcours « frictionless ». Cette réflexion répond à la préoccupation des partenaires de proposer à leurs clients l’expérience du « monde d’après », d’une certaine manière un monde où la réponse la moins chère et la plus rapide – en termes de produits et de services – ne suffit plus à satisfaire pleinement les aspirations des clients.
Cette recherche donne les outils pour penser cette expérience « prenante » sans tomber dans le piège qui consisterait à opposer radicalement les logiques de facilité et d’immédiateté (qui caractérisent la boucle de fidélisation) avec les logiques de singularité, de variété et de curiosité (qui caractérisent la spirale d’implication).
Cette recherche est également intéressante car elle met l’accent sur l’usage plutôt que sur l’achat (qui devient une considération seconde, une fois l’usage installé). Elle met également l’accent sur la reprise des codes issus du jeu vidéo dans les services (surprises, obstacles, défis…), une tendance que l’on retrouve fortement en Chine où le commerce converge avec les réseaux sociaux et les jeux vidéo. Ce « management de la surprise » repose en partie sur l‘interaction entre les « joueurs-clients ».
A bientôt !
Maison Du Client.

Le C*CM en bref…
Le CCM (Center for Customer Management) est un espace d’échanges entre académiques et professionnels à la pointe du management de la relation client. Il associe les responsables, consultants et chercheurs dans la réflexion sur les pratiques, les expériences et les tendances sur ce que sera la stratégie client de demain.
Le Center for Customer Management (C*CM) rassemble 14 chercheurs français d’horizons divers, spécialistes de la relation client, désireux d’enrichir, par les échanges entre milieux académiques et professionnels, la réflexion des responsables, consultants et experts du management des clients :
- Thierry Delecolle, Pôle Léonard de Vinci
- Kiane Goudarzi, Université Lyon 3
- Florence Jacob, Université de Nantes – IAE
- Eric Julienne, Université d’Evry-Val-d’Essonne, Paris-Saclay
- Sylvie Llosa, Université d’Aix-Marseille – IAE
- Aïda Mimouni-Chaabane, CY Cergy Paris Université
- Gilles N’Goala, Université de Montpellier
- Lionel Nicod, Université d’Aix-Marseille
- Virginie Pez, Université de Paris Panthéon- Assas
- Isabelle Prim-Allaz, Université de Lyon 3
- Valérie Renaudin, Université Paris-Dauphine
- Françoise Simon, Université Haute Alsace
- Eric Stevens, ESSCA
- Pierre Volle, Université Paris-Dauphine, PSL
Des entreprises partenaires participent également aux réflexions du C*CM et le soutiennent financièrement. De ces interactions régulières naissent des apprentissages riches et partagés qui donnent tout son sens au C*CM : un hub d’actualisation et de développement des connaissances en vue du renforcement d’expertises sur la stratégie client.
Un livre blanc sur les recherches en management de la relation client… by C*CM !
Plus que jamais, le management des clients est une priorité stratégique pour de nombreuses entreprises : acquisition de clients, intelligence client, amélioration de l’expérience client, programmes relationnels, management de communautés de clients, dématérialisation de la relation sont des enjeux clés, fortement bouleversés par la digitalisation de nos économies.
Pour étudier en profondeur ces questions stratégiques, le C*CM mobilise l’expérience accumulée par de nombreuses recherches publiées en Europe et aux États-Unis. Le livre blanc 2021 présente ainsi une sélection de recherches académiques publiées en 2020.
L’objectif de ce livre blanc est de proposer des synthèses accessibles des recherches en faisant le pont entre la recherche académique et les praticiens. Il participe ainsi à l’enjeu d’une science ouverte dont les résultats sont partagés et discutés par le plus grand nombre. La crise sanitaire en lien avec la Covid-19 que nous traversons montre qu’une approche scientifique permet de partager et d’identifier les pratiques les plus pertinentes !
Toujours dans cet esprit de partage, le C*CM s’est enrichi, grâce au concours de ses partenaires, d’un nouveau site internet : https://ccm.academy
Comme chaque année, les articles qui composent ce livre blanc ont été choisis par les membres du C*CM dans des revues faisant référence. Les contributeurs ont synthétisé, contextualisé et illustré les articles sélectionnés à travers plusieurs rubriques qui rythment les fiches de présentation : la problématique client, ce que dit la recherche sur ce thème, le « so what » qui explique comment tirer parti de ces expériences dans les pratiques d’entreprises. Un commentaire résultant du regard d’un professionnel est rajouté dans lequel nos entreprises partenaires livrent leur propre analyse.
Le choix des articles est justifié par leur capacité à susciter l’intérêt des praticiens et à déboucher sur des réponses concrètes et des recommandations pratiques. La diversité des membres du C*CM permet d’enrichir le livre blanc d’approches complémentaires par l’accent mis sur le digital, l’approche servicielle, les programmes de fidélité ou encore l’expérience client…
Quatre thématiques émergent des publications retenues cette l’année :
- La prise en compte des facteurs de contingences contextuels et individuels lors du design des
parcours clients ; - Le développement des modes de communication relationnels et engageants ;
- L’adoption des nouvelles technologies par les clients ;
L’utilisation du registre des émotions pour gérer l’insatisfaction client.
Nos partenaires entreprises ont également rédigé une réflexion sur un thème, une action ou une idée qui lui semble riche et source de questions nouvelles. Cette co-création du livre blanc a été un véritable plaisir pour tous.